Conférence inaugurale des tables rondes « Cités administratives et villes nouvelles, de l’héritage aux avenirs possibles ». Tribunal Judiciaire d’Evry-Courcouronnes dans le cadre des Journées Nationales de l’Architecture 2021
16 | 10 | 2021
A l’occasion des Journées Nationales de l’Architecture 2021 et des 50 ans de la Cité administrative d’Evry, Anne Démians, membre de l’Académie des Beaux-Arts, a donné la conférence inaugurale d’une série de tables rondes « Cités administratives et villes nouvelles, de l’héritage aux avenirs possibles » avec des professionnels de la ville.
A l’intitulé « Villes Nouvelles » je réponds par « La ville avenir », qui est à double sens et qui nous projette délibérément vers le futur. Comment faire en sorte que la ville de demain se renouvelle sur elle-même et que, au-delà des effets de mode, elle s’adapte dans la durée aux nouveaux enjeux environnementaux, et aux nouvelles pratiques de la ville liées à la pandémie, notamment sur les lieux de travail et sur les lieux de vie. Et comment repenser la fluidité des déplacements comme catalyseur d’une modernité apaisée.
Regardons rapidement quelques grandes étapes de l’histoire de nos villes
Jusqu’au XIXème siècle, un langage commun était partagé dans l’architecture, ce qui donnait un vocabulaire commun. C’est ce qui assurait une qualité cohérente à la production. L’art de composition prévalait. La fonctionnalité des édifices devaient s’adapter à la forme.
Au XXème siècle le BAHAUS, le CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne), balaient l’architecture classique et l’éclectisme des styles qui étaient en vigueur. En 1933, la Chartes d’Athènes a établi des zones indépendantes pour les 4 fonctions : la vie, le travail, les loisirs et les infrastructures de transport.
Les urbanistes dans leurs efforts pour reconstruire les villes européennes après la seconde guerre mondiale ont largement adoptés ces concepts fonctionnalistes.
Ici, au Havre c’est la reconstruction par Auguste Perret et ses disciples d’une nouvelle ville pour 40 000 habitants. C’est une ville calibrée selon trois échelles : une échelle urbaine, une échelle de l’îlot d’habitation, enfin celle du logement type. Le plan d’ensemble respecte les doctrines modernes et systématise l’utilisation du béton armé, tout en s’inspirant de la composition historique de la ville.
Après la seconde guerre mondiale, dans un contexte de pénurie de logements amplifiée par le baby-boom, par l’immigration massive du rapatriement des français d’Algérie, par l’arrivée des habitants des bidonvilles de Nanterre, des milliers de logements sont construits au rythme des chemins de grue. Ce sera le plus grand ensemble de France.
La conception de Sarcelle est réalisée par les architectes Boileau et Labourdette qui ont œuvré entre 1955 et 1975. C’est en réaction à cet urbanisme de tours et de barres que vont être conçues les villes nouvelles. Pour autant des historiens ont démontré par des témoignages le grand attachement des habitants de la 1ère génération à leur cité, qui leur offrait des conditions d’hygiène et de vie modernes qu’ils n’avaient jamais connues jusqu’alors.
Ici à Sarcelles, cette architecture répondait à une situation d’urgence.
En 1973 la ville nouvelle d’Evry, est réalisée en réaction par rapport à l’urbanisme de tours et de barres de Sarcelles. Evry est majoritairement construit avec des logements de tailles intermédiaires dotés pour le plus grand nombre d’espaces extérieurs. Ces ensembles de logements sont caractérisés par des volumétries complexes et se positionnaient, au moment de leur construction, comme alternative à la pauvreté des espaces urbains des grands ensembles.
La carte des villes nouvelles
Avec Evry et les 4 autres villes nouvelles qui seront construites autour de Paris c’est le début d’une période d’expérimentation sur les logements et d’une planification du territoire par l’Etat. Evry, Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée et Melun-Sénart sont issues d’une période constructive intense lancée par le Général de Gaule, réalisée par Delouvrier où le développement des villes nouvelles visait à mieux répartir l’expansion des grandes villes pour répondre à l’accroissement démographique.
Cette disposition polycentrique était une préfiguration du développement du Grand Paris.
50 ans après la construction de ces villes nouvelles, un bilan critique s’impose. Notamment pour faire la part des atouts et des faiblesses afin de concevoir des interventions ciblées et adaptées pour transformer ces villes nouvelles en ville avenir.
Un élan nouveau sur l’expérimentation des logements permettrait de réactualiser les enjeux des villes aux regards des besoins qui ont changé.
Relancer l’expérimentation au niveau national serait nécessaire pour répondre aux différents enjeux environnementaux qui s’imposent à nous. Aujourd’hui plutôt que de continuer à laisser une expansion non maitrisée de nos villes au détriment des forêts et des terres agricoles, il s’agit, on le sait, de reconstruire nos villes sur nos villes et de fluidifier les déplacements. Il s’agit de porter un regard spécifique sur chaque contexte pour faire parfois un travail de réparation sur les points de blocage et de réhabilitation.
Chacune de ces villes nouvelles ont développé des configurations urbaines très différentes, les solutions apportées seront forcément spécifiques.
A titre d’exemple de cette attention ciblée je présenterai trois configurations très différentes d’intervention sur des immeubles et/ou de quartier qui ont permis de relancer de dynamiser des morceaux de ville en perte de vitesse.
J’ai été amené à intervenir sur des contextes extrêmement différents comme des morceaux de ville délaissés ou d’anciennes friches industrielles.
Plutôt que l’affirmation d’un style, mon travail s’inscrit dans le temps plus long de l’analyse des nouveaux mécanismes de notre société, pour proposer à chaque situation une réponse autonome qui est l’interprétation que je fais des contextes.
En 2011, l’agence Lacaton-Vassal à la demande d’un bailleur public, Paris-Habitat a proposé une restructuration de la tour de logements Bois-le-Prêtre réalisé par Raymond Lopez, 50 ans auparavant en 1961 pour faire la démonstration de la validité d’une alternative à la démolition-reconstruction, en proposant des espaces extérieures qui n’existaient pas à l’origine.
Non seulement on ne détruit pas le bâtiment existant mais en plus on améliore le logement.
En 2019, également avec Paris Habitat, maitre d’ouvrage public j’ai livré une opération de logements, à Paris sur les terrains délaissés des voies ferrées de RFR à Paris dans le 16 ème arrondissement et en 2019 j’ai également livré sur un ancien site industriel à Strasbourg, une opération de programme mixte avec un maitre d’ouvrage privé
Ces 3 opérations ont la particularité de proposer une expérimentation sur les espaces de vie ou/ et de travail qui vise à ne pas considérer comme une fatalité l’absence d’innovation dans les espaces domestiques qui construisent la ville de demain.
Ce morceau de ville, que j’ai pu réaliser à Strasbourg, est la mise en scène d’une réflexion théorique sur la ville qui je porte depuis maintenant quelques années.
Je propose une nouvelle esthétique urbaine basée sur le postulat que la ville doit être pensée comme un organisme vivant qui évolue très rapidement dans ses usages et dis qu’il est de notre responsabilité d’accompagner ces changements, voire, de les anticiper.
Comme je l’ai déjà précisé, avant le XIXème siècle l’architecture classique avait un langage commun.
La perte du langage commun en architecture est liée à une inversion des paradigmes. Au lieu de penser la ville on met en avant l’originalité d’écriture de chaque architecte.
Les Black-Swans à Strasbourg ici, c’est la ville qui compte d’abord. Elle est prépondérante dans mes choix.
Malgré la mixité des programmes qui me sont demandés (bureaux, logements, résidence étudiante, résidence service, commerce, hôtel), je privilégie la cohérence urbaine. Il s’agissait de créer une agrafe urbaine entre le centre de Strasbourg et l’axe industriel en développement vers l’Allemagne.
J’ai préféré par une homogénéité d’écriture m’inscrire dans le temps long de la ville.
L’histoire de ce port industriel commence en 1892 avec les premiers bateaux à vapeurs. En 1932, trois édifices verticaux sont construits en briques rouges et en béton clair. Ils marquent l’esthétique industrielle de ce site.
En 1994, Catherine Trautmann lance des lignes de tramway qui relie ce quartier au centre de Strasbourg et à la gare.
En 2000, plutôt que de démolir les tours existantes elles sont réhabilités en maison Universitaire, en maison du numérique et de la culture, en médiathèque.
Mais la Ville ne se contente pas de réhabiliter, elle construit. Et c’est comme ça que j’ai réalisé ces bâtiments verticaux, les Black Swans qui entrent en résonnance avec les bâtiments historiques.
On est bien là dans une logique de transformation, de démolition partielle et de construction pour transformer cet ancien site industriel en un lieu de référence pour Strasbourg en matière d’animation urbaine et de vie culturelle
Cette nouvelle esthétique prend racine dans la mémoire et le caractère industriel du site. Le mode répétitif de ses façades assure l’économie et la cohérence de l’opération tout entière.
L’esthétique de ce projet est issue d’un langage commun malgré la pluralité des programmes pour proposer un bâtiment capable de s’adapter à toutes les évolutions programmatiques sans que le quartier ne soit pénalisé par ces modifications d’usage.
Je parlerai de bâtiment agile avec cette idée d’hybridation, de réversibilité et de disponibilités des usages. La ville est un organisme vivant dont il faut anticiper les transformations pour éviter qu’elle s’abime avec le temps.
Ce qui contribue à ancrer définitivement ce nouveau quartier dans une empreinte contemporaine c’est la fluidité de ces accès. Le tramway installé par Catherine Trautmann et Roland Ries, les aménagements des rives des anciens bassins industriel pour les vélos et les piétons, les places publiques au pied des bâtiments, des RDc en double hauteur et adaptables aux évolutions des besoins des commerces et des activités…Toutes ces dispositions permettent une animation vertueuse entre des polarités, et des usages fluidifier par la diversité des déplacements et la qualité des connexions entre les quartiers.
Les Black Swans, c’est surtout la pensée artistique qui fait tout basculer.
En effet, avec le basculement des cygnes blancs du bassin André MALRAUX à Strasbourg en cygnes noirs tout droit sortis du film BLACK SWAN d’ARONOFSKY, je révèle la dimension romantique de cet ancien site industriel et, donc, j’attache plus directement cette réalisation à son site.
Toute autre situation. A Paris dans le 16ème arrondissement sur les anciennes voies ferrées de la ligne de train Auteuil-Boulogne fermée en 1985.
Ces terrains longtemps désaffectés furent l’objet d’une volonté politique de rééquilibrage social. La ville de Paris avait comme ambition de construire 400 logements sur ce site et d’avoir à la sortie de l’opération 50% de logements sociaux et 50% de logements privés., il y a moins de 5% de logements sociaux dans le 16ème.
C’était un vrai défi…
Un défi que nous avons relevé à 4. En effet j’ai réalisé ces 400 logements en association avec 3 autres architectes et non des moindres puisqu’il s’agit de Francis Soler, l’architecte du ministère de la culture, de Rudy Ricciotti, l’architecte du Mucem à Marseille et de Finn Geipel, l’architecte de la cité du Design à Saint-Etienne
Nous avons pour cela créé une coopérative de moyens pour transformer cette demande politique forte dans un positionnement militant encore plus affirmé.
Nous voulions que les logements sociaux soient réalisés avec la même qualité que les logements en accession. Le pari a été tenu. Il est visible Place de la Porte d’Auteuil !
On voit ici les mêmes composants industriels, les mêmes menuiseries repliantes qui ont été utilisées pour les 4 bâtiments sociaux ou en accession, le même matériau de façade en aluminium qui été oxydé, plissé, ou perforé, à partir de la sensibilité de chaque architecte.
Ce qui crée une diversité maitrisée, une économie également maitrisée, une qualité d’exécution maitrisée avec une même matérialité pour l’ensemble de cette pièce urbaine comme un clin d’œil contemporain au Paris Haussmannien réalisé avec un seul matériau : la pierre.
J’inscris la dimension onirique en construisant, en plein cœur de mon bâtiment, un grand vide vertical tout noir.
Ce vide est une transposition des escaliers des Hôtels particuliers du 16ème arrondissement. Une mise en abyme pour démultiplier l’espace à l’infini.
J’ai été sollicité par Groupama à réfléchir avec 4 autres architectes à la requalification de l’espace urbain de la Défense construit dans les années 60 et aujourd’hui en perte d’attractivité.
« Comment ne pas s’interroger sur le destin de ces dizaines de tours des années 70 et 80, qui sont des gouffres énergétiques. Alors, faut-il faire table rase ?
La réponse est non. »
« En finir avec les méthodes de destruction-reconstruction qui ont façonné nos villes modernes depuis au moins un siècle, au prix d’un lourd tribu environnemental »
La Défense est le seul quartier d’affaire entièrement pièton mais accessible par les transports en commun et les voitures sont stockés sous les dalles.
Pour répondre à cette question de la revalorisation des espaces publiques, j’installe une grille horizontale qui prend place de part et d’autre de l’axe historique de La Défense. Elle arrête l’altimétrie de sa voie la plus haute sur celle de la dernière marche du grand escalier de l’Arche. La FLYING LANE, ainsi appelée pour son coté aérien et suspendu apparent,
Le tracé parfaitement horizontal qui se glisse entre les immeubles existants et qui longent les tours, les percutent, absorbant la topographie chaotique du sol actuel de la Défense.
Ce tracé est à double étages. Les cycles et les mobilités douces, de toutes natures, sont installés sur l’étage inférieur, pendant que l’étage du dessus est exclusivement destiné aux déplacements des piétons et aux espaces plantés.
On accompagne ce déplacement avec l’idée d’un fil d’Ariane installé comme un connecteur entre les anciennes tours et les nouvelles tours. On accompagner tous les rythmes de transports doux à travers la création d’un connecteur de toutes les nouvelles activités à venir, qu’elles soient artistiques, ludiques, sportives ou culturelles, à la Défense du futur.
A des contingences très diverses, je réponds par des réponses très diverses.
Conclusion :
Repenser les villes nouvelles n’est pas forcément reconstruire les villes
Le problème des villes et les tensions urbaines ce n’est pas forcément l’architecture qui est en cause. Sarcelle et certains quartiers de Neuilly sont construits avec des architectures extrêmement similaires et pourtant les ambiances sont diamétralement différentes.
Les problèmes sont souvent liés à la ghettoïsation…pour y pallier la fluidité des accès me parait de nature à favoriser des implantations plus faciles / travail / loisir
Fluidité des transports et agilité des bâtiments capable d’accompagner les évolutions de la ville dans le temps, et considérer la ville comme un organisme vivant à préserver pour le bien-être de tous.
https://vimeo.com/user79619216/download/650662447/5b7c3f5ad2